Balade artistique à la galerie 19 M de Dakar


Exposition collective "Sur le fil" de la galerie 19 M de Dakar

Inspirés par la broderie, le tissage et   l’« upcycling » les artistes sénégalais et étrangers de la galerie 19 M de Dakar laissent libres cours à leur imagination. Plaisir visuel garanti.

L’exposition « Sur le fil » se tient bien au musée Théodore Monod de Dakar   mais côté arrière-cour. C’est en réalité, au premier étage d’un bâtiment aux couleurs claires que sont installées les créations les plus folles des artistes et artisans sénégalais et étrangers. Pour commencer sa balade artistique, le visiteur peut jeter un coup d’œil sur « L’oiseau semeur » de Fatim Soumaré. 

C’est une pièce de coton bio tissée qui ressemble à une chauve-souris empaillée. L’œuvre représente 1700 heures de travail. Un long travail minutieux qui a fait appel aux doigts de fée des femmes sérères du village de Fayil dans le Sine Saloum. 

« Cette pièce crochetée » prouve, qu’à l’intérieur du Sénégal, il existe encore des gardiennes du temple, de nos traditions. Elles continuent à filer à la main et avec toute la patience du monde des œuvres d’exception avec un savoir-faire unique.

Pour la galerie, l'artiste Abdoulaye Ndoye  propose  des pagnes tissés décorés de figures géométriques et peints à l'henné et aux crayons pastel

À côté de cette jolie pièce artisanale, il y a « Murdiya ». L’œuvre originale de Yassine Mekhnache est un tissu de coton tâché à l’eau de javel puis garni de perles et de paillettes aux couleurs blanches, violettes et noires. L’artiste français a réussi à travers cette œuvre un métissage des techniques de la broderie indienne, nigérienne et marocaine. 

 Il faut souligner que la pièce présentée dans la galerie 19 M de Dakar est une copie de l’original. Elle a été brodée par la manufacture Vastrakala pour les besoins de l’exposition. Elle garde toutefois tout son sens d’après ce que dit une médiatrice culturelle qui nous sert de guide : « Vous pouvez admirer sur ce textile le continent rêvé de Yassine Mekhnache dans lequel les pays ne ressemblent à aucun autre dans le monde réel. »

Tisser le rêve

La visite se poursuit avec les chutes de   tissus mandjak de Malik Welli.  « Whispers of my friends » comme l’artiste les appelle ressemble à de longues écharpes   suspendues sur une planche en bois et traînant par terre. 

Ces bandes de tissus se retrouvent en arrière-plan sur du papier peint contrecollé au mur. Il s’agit d’une image tirée de la série photographique Anonym(us) de son auteur. Ici, des personnages sont drapés de pied en cap de ces tissus et tout autour d’eux se dressent des baobabs. Cette installation est tout un symbole.

 C’est à la fois une célébration de l’art du tissage et de la spiritualité mandjak mais aussi une invitation à reconsidérer de manière plus saine notre rapport à la nature. Au fil de la promenade, le visiteur peut également admirer un double métier à tisser. L’instrument en bois abrite deux pagnes tissés inachevés. Ils sont faits avec du coton déposé dans 9 calebasses posés à proximité du métier.

La galerie est un espace de rencontres entre les artistes sénégalais et français

La médiatrice culturelle nous éclaire sur l’œuvre : « Ce double métier à tisser est utilisé par le duo Johanna Bramble et Fatim Soumaré. L’idée de ces deux femmes est de composer ensemble avec la même chaîne de coton un pagne unique. 

C’est pour cela que vous avez de part et d’autre du métier à tisser des bouts de pagnes inachevés de la même longueur. »  Johanna Bramble et Fatim Soumaré projettent de terminer leur ouvrage avant la fin de l’exposition. En attendant, la visite continue. Sous une forte lumière blanche, 3 gorilles géants décorés de talismans rouges attisent la curiosité. Ce sont en réalité les « Totems » de Cheikha Sigil. 

Ses créatures de la forêt bâtis dans une solide armature sont coiffées de fils de broderie généralement utilisés sur des boubous. Elles font étonnement penser au célèbre « Kankourang » de la Casamance.  Cheikha Sigil souhaite à travers ce travail montrer toute l’utilité d’un habit :« Le vêtement te porte, te donne du courage, te protège ».

L’art du surcyclage

Chutes de tissus, déchets plastiques, cuir, végétaux, denim. Tout donne matière à créer chez les artistes. Alioune Diouf, par exemple, utilise des chutes de textiles. Il les tortille, les broie avant de les broder avec du fil rouge brillant. Le résultat donne ce tableau « La Saint lousienne »

Un hommage aux signares, femmes métisses de Saint-Louis, à la mise imposante et majestueuse.  Cécile Ndiaye, quant à elle, préfère triturer le cuir. Avec « Diffractions », elle propose un tableau composé essentiellement des chutes de cuir aux 50 nuances de noir. Le cuir qu’elle fait souffrir est une récupération « des excès industriels européens qui arrivent par cargos conteneurs au Sénégal »

La styliste Selly Raby Kane propose dans le jardin du musée une main géante et des baobabs aux poissons confectionnés avec du denim récupéré

Cécile Ndiaye montre par son travail qu’il est bien possible de faire à partir de « la ressource industrielle un geste artistique ». Autrement dit elle transforme un matériau destiné à terminer à la poubelle en un objet d’art de grande valeur. Une autre de ses œuvres admirables se contemple dans le double escalier de la galerie. 

Toujours dans le domaine du cuir mais cette fois-ci avec plus de couleurs : rouge, jaune, bleu.  Elle est suspendue au plafond comme une armure sur un porte-manteau.

Khadija Bâ qui tient le pop-up shop du 19 M (boutique éphémère) pratique le surcyclage. La jeune artiste au foulard vert, la fondatrice de la marque « L’artisane », vend elle-même dans sa boutique « Le Sandaga » des objets recyclés. 

Les artistes croisent la broderie et le tissage avec la peinture et la photographie

« Je ne vois pas l’intérêt de jeter un objet quand on peut encore le transformer » confie-t-elle. Elle doit sans nul doute apprécier à sa juste valeur les rideaux à croix multiples des artistes français de la galerie 19 M de Paris faits grâce à un assemblage de cuir, de denim et de plastique.   

Ou encore les grands cadres à tisser posés à l’entrée de la galerie. Dans ce cadre en bois aux fils blancs verticaux s’entremêlent des feuilles d’arbres séchées, des brins de céréales, des morceaux de sacs à patates, des lacets jaunes, verts menthe, noirs entrecroisés et des restes de tronc d’arbres. « Ceci est le fruit d’un atelier d’initiation au tissage de végétaux » informe une guide.

A l’accueil de la galerie du 19 M, la styliste Selly Raby Kane a investi le jardin du musée. Ses créations : deux baobabs aux fruits étranges (des poissons) et une main géante ont été créées essentiellement avec des jeans recyclés. 

A la galerie du 19 M, les artistes se croisent et rivalisent d’imagination. Leurs créations sont admirables. Elles marquent l’esprit, amusent le regard du visiteur. Cependant elles ne détournent jamais le public de l’essentiel. C’est-à-dire de la beauté du geste artistique et du savoir-faire artisanal.  

Jusqu’au 31 mars 2023, la galerie 19 M de Dakar fera défiler et découvrir une panoplie de créations de plus en plus originales, de plus en plus poétiques, de plus en plus délirantes. L’entrée au musée est gratuite.  Alors autant en profiter avant que la galerie ne ferme ses portes.

 Nénucha Ciss

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