« Je suis L’artisane »

 

Khadija Bâ, artiste et entrepreneure 

L’exposition « Sur le fil » de la galerie 19 M de Dakar est l’occasion pour plusieurs artistes et entrepreneurs culturels sénégalais d’exposer leurs œuvres d’art. C’est le cas de la créatrice de mode et femme d’affaires Khadija Bâ. L’entrepreneure tient temporairement « Le shop du 19 M » où elle expose un échantillon de ses produits. Pour nous, elle a accepté de parler de son entreprise « Le Sandaga » et de sa marque « L’artisane ».

Pourquoi avez-vous créé la marque « L’artisane » ?

Quand je suis rentrée au Sénégal après mes études à l’étranger je n’avais qu’une idée en tête : ouvrir une conciergerie de luxe à Dakar. Mais j’ai très vite déchanté. Je me suis rendu compte que peu de personnes au Sénégal étaient prêtes à payer pour ce genre de service. Je ne pensais pas un jour vivre de la mode.

Pourtant aujourd’hui vous vivez de la mode et de vos créations…

J’ai compris petit à petit que je peux vivre de la mode. Et cela je le dois à une amie, la styliste Sally Raby Kane. Elle a été la première à remarquer que je portais des habits, des sacs et des bijoux originaux. Elle m’a donc dit un jour : « Pourquoi tu ne ferais pas un shooting photo de tes créations ? » Je l’ai regardée avec surprise. Sa proposition m’a semblé farfelue.  Qui accepterez de s’habiller comme moi et de porter mes créations ? Beaucoup de gens se moquaient de mon style vestimentaire.

Qui se moquaient de vous et pourquoi ?

Mes cousines se moquaient souvent de moi. Tout ce que je portais étaient pour elles ringard : mes gros colliers, mes foulards, les boubous que j’empruntais à ma grand-mère et que je portais avec des « sneakers ».

Qu’est ce qui vous a alors convaincu de sauter le pas et de créer votre marque ?

C’est la nécessité de valoriser l’artisanat sénégalais. Parce que dans notre pays, peu de gens comprennent le savoir-faire de nos artisans locaux. Prenez le cas de la France, c’est un pays où les artisans ont une place de choix dans l’industrie du luxe.

A quel moment avez-vous pris conscience qu’il faut valoriser notre artisanat ?

Pendant mes études en MBA, j’ai fait énormément de recherches sur le tissage, les tissus africains parce que mon mémoire portait sur la mode.

Et qu’avez-vous trouvé au bout de vos recherches ?

J’ai trouvé le sens que je donne aujourd’hui à ma marque « L’artisane ». En plus de cela, j’ai appris à me connaître. En créant « L’artisane », j’ai appris à accepter ma différence. J’ai appris à rester moi-même : la femme au foulard, aux boubous amples et aux gros colliers. J’ai libéré ma créativité et j’ai affirmé mon goût pour le vintage.

Dans votre processus de création, où trouvez-vous l’inspiration ?

Dans mon environnement. Je fais souvent du recyclage parfois sans le savoir. Je transforme des sacs de riz en babouche par exemple. Je puise aussi mon inspiration dans mes souvenirs d’enfance. En fait, je suis « L’artisane ». Mais je n’oublie jamais de faire en sorte que ce que je crée parle au plus grand nombre.

Après vous être fixé sur l’identité de votre marque, vous avez ouvert une boutique en ville. Pourquoi l’avez-vous appelé « Le Sandaga » ?

Je l’ai donné ce nom en hommage au marché Sandaga, le plus grand marché de la capitale.  

Que vendez vous dans votre boutique ?

Dans ma boutique, je vends des vêtements et des accessoires qui me ressemblent. Je vends des objets que j’ai recréés à mon goût comme des cintres ou des encensoirs. Je vends des produits qui rentrent dans mon univers comme le livre de la styliste Oumou Sy.

Vous vendez aussi des boubous. Qu’est-ce que les boubous créés par Khadija Bâ ont de spécial ?

Je pense que la dimension tradi-moderne de mes boubous les rend spéciaux. J’aime faire des boubous avec des tissus flashy ou du tissu camouflage sous de la broderie traditionnelle. Il n’y a pas longtemps j’ai imaginé un boubou noir décoré non pas de fils brodés mais d’un gros patch thermocollant de burger. Je l’ai appelé « burger » boubou. Beaucoup de gens m’ont critiqué quand j’ai publié la photo de ce boubou sur les réseaux sociaux. Ils me disaient au lieu d’un burger boubou pourquoi ne pas faire un « thiebou dieune » boubou. Je les ai répondus que c’était trop évident. Un « burger » américain sur un boubou africain, cela frappe plus les esprits. Moi, je ne suis pas dans la technique des artisans. Mon imagination est mon seul guide.

Qui sont vos principaux clients ?

Il y a beaucoup d’étrangers. Peut-être parce que mes créations plaisent plus aux étrangers. J’ai également des connaissances qui franchissent la porte de mon magasin. Ce sont ces clients qui me disent souvent que je représente la « pop art sénégalaise ».

Comment travaillez-vous ?

De manière désordonnée. Je ne fais jamais les mêmes choses tous les jours. Mon travail consiste à suivre l’évolution de mes différents projets de créations à l’atelier de bijoux, à la maroquinerie et chez mes tailleurs. Je gère aussi le « merchandising », les commandes et les publications sur les réseaux sociaux.

Les ateliers ne sont pas dans votre boutique ?

A part l’atelier de sacs et bijoux, non. L’idéal aurait été que toutes les personnes avec qui je collabore travaillent dans la boutique. Cela m’aurait évité des allers-retours interminables.

Pourquoi ce n’est pas le cas ?

Parce que certains artisans ne veulent pas quitter leur espace. En plus, je n’ai pas encore les moyens d’avoir un grand espace pour accueillir tous les artisans. Je travaille encore sur fonds propres.

Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux comme Instagram. Certains de vos clients vous voient comme une ambassadrice de la « pop art sénégalaise ». Vous considérez-vous comme une influenceuse ?

Non. Pas du tout. J’utilise les réseaux sociaux pour faire connaître ma boutique et les produits de ma marque « L’artisane ». Ce qui m’intéresse c’est que les gens se sentent bien dans leurs peaux quand ils achètent mes produits comme je suis bien dans mes baskets quand je les crée.

Nénucha Ciss

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